Vie et Oeuvre de Simone Weil  (1909-1943)

Simone Weil nait en 1909 à Paris au sein d'une famille de la bourgeoisie juive. Elle aura la chance de pouvoir bénéficier d'une éducation classique. Au Lycée Henri IV à Paris, elle est une des premières filles à avoir accès au cours de philosophie d'un professeur célèbre : le philosophe Alain. Simone Weil sera influencée par la stature de ce professeur, par ses idées non-conformistes et ses rébellions contre l'autorité universitaire. Elle devient elle-même professeur de philosophie et s'engage sur le plan politique. On la surnomme "la vierge rouge" et l'administration universitaire la nomme assez loin de Paris, craignant sans doute les remous.
Dans les villes de province où elle enseigne (au Puy, à Bourges...) elle fréquente les ouvriers, les chômeurs, discutant avec eux dans les cafés, leur donnant des cours de culture générale pour les instruire afin de les éclairer sur le rôle important de la classe ouvrière. Pour mieux comprendre les rouages de l'oppression sociale, elle se fait embaucher comme ouvrière en usine, malgré sa santé précaire. En 1936, elle rejoint les brigades internationales, en Espagne, où elle combat comme un soldat dans cette atroce guerre civile.
En voyage en Italie, sa vie personnelle bascule soudain lorsque, dans une église à Assise, elle vit un moment spirituel intense. "Quelque chose de plus fort que moi m'a obligée, pour la première fois de ma vie, à me mettre à genoux", écrira-t-elle Elle en est marquée jusqu'à la fin de sa courte vie et va développer cette approche spirituelle qu'elle nomme "connaissance surnaturelle".
Durant la guerre, la famille Weil, d'origine juive, quitte Paris, d'abord pour Marseille, et ensuite pour New York. Mais Simone Weil n'a qu'une seule idée : rejoindre la Résistance en Angleterre et aider la France contre la force hitlérienne. Gustave Thibon et le Père Perrin, ses confidents pendant la guerre, écrivent : "La seule pensée d'abandonner la France esclave et meurtrie et de vivre à l'abri des persécutions suffisait à la plonger dans le désespoir". (2) Elle parvient non sans mal à rejoindre Londres. Elle travaille comme rédactrice pour une commission où on lui demande un rapport sur la situation morale de la France, en vue d'une nouvelle constitution à bâtir à l'issue de la guerre. C'est là qu'elle écrit son dernier ouvrage, en 1943, L'Enracinement et qu'elle meurt à 34 ans, la même année, de la tuberculose.



SES ŒUVRES


Impressions d'Allemagne, 1932 ; Leçons de philosophie, 1933-1934 ;Réflexions sur les causes de la liberté et de l'oppression sociale, 1934 ; Méditation sur l'obéissance et la liberté, 1937-1938

Lettre à Georges Bernanos, 1938 ; Réflexions sur la barbarie, 1939 ; Réflexions sur les origines de l'hitlérisme, 1940 ; L'Iliade ou le poème de la force, 1940-1941 ; Expérience de la vie d'usine, 1941 ; A propos de la théorie des quantas, 1942 ; Commentaires de textes pythagoriciens, 1942 ; L'Amour de Dieu et le malheur, 1942 ; Autobiographie spirituelle, 1942 ; Cahier de Marseille, 1941-1942 ; Cahier de New York, 1942 ; Lettre à un religieux, 1942 ; L'Enracinement, 1943 ;

La pesanteur et la grâce, 1947 ; Attente de Dieu, 1942 ; La connaissance surnaturelle, 1942 ; La condition ouvrière, 1951 ; La source grecque, 1953 ;

Oppression et Liberté, 1955 ; Ecrits de Londres et dernières lettres, 1957 ;

Ecrits historiques et politiques, 1960 ; Pensée sans ordre concernant l'amour de Dieu, 1962 ; Sur la science, 1966.

Albert Camus écrira : "Il me paraît impossible en tout cas d'imaginer pour l'Europe une renaissance qui ne tienne pas compte des exigences que Simone Weil a définies dans L'Enracinement" (3).


LA PENSEE DE SIMONE WEIL

Pour cette helléniste, Pythagore et Platon sont les derniers authentiques philosophes. Aussi s'y réfère-t-elle souvent dans ses écrits tout autant que dans sa vie. Elle-même nourrissait l'ambition de vivre en philosophe accomplie en allant jusqu'au bout de ses idées, en tirant les leçons de toutes les expériences, non seulement les siennes propres, mais celles de son époque, qui fut une des plus troublées du siècle.

Simone Weil fait le constat d'un profond déracinement de la France. Les causes essentielles en sont la course à l'argent et le manque d'éducation. "L'argent détruit les racines partout où il pénètre". (4) Non contents de nous détruire nous-mêmes, nous avons exporté ce mal partout dans le monde, de concert avec les autres Européens.

L'éducation actuelle, pour Simone Weil, est source de déracinement. "La culture s'est développée dans un milieu très restreint, séparé du monde... Elle est fragmentée par la spécialisation." (5)

L'instruction n'évoque pas les conceptions concernant la destinée humaine, la variation des constellations... On peut se sentir cultivé sans avoir les moindres notions sur ces sujets, sans être relié à l'Univers. Or l'univers est source d'une morale universelle : "Quelque chose de mystérieux dans cet univers est complice de ceux qui n'aiment que le bien" (8).

Un système qui pense que seuls sont intelligents ceux qui exercent un travail intellectuel est un "système profondément malade". Le déracinement est une grave maladie morale qui débouche sur l'irresponsabilité et l'idolâtrie. Ce sont les sources du totalitarisme et du nazisme allemand. Simone Weil encourage à retenir les leçons de l'histoire.

La tâche essentielle est de recréer des racines. Tout prend sa source dans le sacré et tout y converge. Dans L'Enracinement, elle développe une déclaration, non pas des droits mais des devoirs de l'homme envers l'homme. Elle montre ainsi une rupture avec l'idéologie des droits de l'homme de 1789.

Elle affirme que la liberté sans amour surnaturel est tout à fait vide, une simple abstraction, sans aucune possibilité d'être à jamais réelle.

Pour la reconstruction de la cité, Simone Weil, en référence à Platon, appelle le soleil du Bien. Une nouvelle civilisation, plus humaine, respectant véritablement l'être humain ne peut naître que s'il existe une ferme volonté collective de faire le bien. Cette vie morale est indissociable de la liberté. "Au-dessus des institutions destinées à protéger le droit, les personnes, les libertés démocratiques, il faut en inventer d'autres destinées à discerner et à abolir tout ce qui, dans la vie contemporaine, écrase les âmes sous l'injustice, le mensonge et la laideur." (6)
Simone Weil s'est appuyée sur les enseignements des anciens philosophes pour méditer sur les causes du désarroi métaphysique de l'Europe et sur les bases de la reconstruction morale. Elle considérait que l'Europe trahissait sans cesse les fondements chrétiens de tolérance et de fraternité et que, désormais, une reconstruction imposait non seulement une prise en compte des valeurs antiques "païennes", mais surtout leur intégration ici et maintenant.

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Simone Weil, Philosophe de la renaissance intérieure



Le 3 février 2009, nous avons fêté le centenaire de la naissance de Simone Weil (1909-1943). Cette grande philosophe contemporaine fut une femme d’exception, dont la pensée sociale, politique, jointe à sa quête spirituelle, nous paraît plus que jamais indispensable.


Au lycée Henri IV à Paris, elle est une des premières filles à avoir accès au cours de philosophie d’un professeur célèbre : Alain. Simone Weil sera influencée par la stature de ce professeur, par ses idées non-conformistes et ses rébellions contre l’autorité universitaire. Elle devient elle-même professeur de philosophie et s’engage sur le plan politique. On la surnomme «la vierge rouge» et l’administration universitaire la nomme assez loin de Paris, craignant sans doute les remous.

Une jeunesse militante et révoltée

Dans les villes de province où elle enseigne (au Puy, à Bourges…) elle fréquente les ouvriers, les chômeurs, discutant avec eux dans les cafés, leur donnant des cours de culture générale pour les instruire afin de les éclairer sur le rôle important de la classe ouvrière. Pour mieux comprendre les rouages de l’oppression sociale, elle se fait embaucher comme ouvrière en usine, malgré sa santé précaire. En 1936, elle rejoint les Brigades internationales en Espagne où elle combat comme un soldat, dans cette guerre civile atroce.

Une expérience mystique bouleversante


En voyage en Italie, sa vie personnelle bascule soudain lorsque, dans une église à Assise, elle vit
un moment spirituel intense. «Quelque chose de plus fort que moi m’a obligée, pour la première fois de ma vie, à me mettre à genoux», écrira-t-elle (1). Elle en est marquée jusqu’à la fin de sa courte vie - elle meurt à trente quatre ans - et va développer cette approche spirituelle qu’elle nomme «connaissance surnaturelle».

Rejoindre la France meurtrie


Durant la guerre, la famille Weil, d’origine juive, quitte Paris, d’abord pour Marseille, et ensuite pour New York. Mais Simone Weil n’a qu’une seule idée : rejoindre la Résistance en Angleterre et aider la France contre la force aveugle hitlérienne. Gustave Thibon et le Père Perrin, ses confidents pendant la guerre, écrivent : «La seule pensée d’abandonner la France esclave et meurtrie et de vivre à l’abri des persécutions suffisait à la plonger dans le désespoir» (2). Elle parvient non sans mal à rejoindre Londres. Elle travaille comme rédactrice pour une commission où on lui demande un rapport sur la situation morale de la France, en vue d’une nouvelle constitution à bâtir à l’issue de la guerre. C’est là qu’elle écrit son dernier ouvrage, en 1943, sous le titre de L’Enracinement. «Il me paraît impossible en tout cas d’imaginer pour l’Europe une renaissance qui ne tienne pas compte des exigences que Simone Weil a définies dans L’Enracinement», écrira Albert Camus (3).


Le déracinement, mal du siècle


Simone Weil fait le constat d’un profond déracinement de notre pays. Les causes essentielles en sont la course à l’argent et le manque d’éducation. «L’argent, écrit-elle, détruit les racines partout où il pénètre» (4). Non contents de nous détruire nous-mêmes, nous avons exporté ce mal partout dans le monde, de concert avec les autres Européens. Détrôner l’argent ? Oui, mais par quel mobile suffisamment puissant le remplacer au cœur de l’homme ? Comment éveiller l’homme à des valeurs intérieures fortes ?


La faillite de l’éducation


L’éducation actuelle, pour Simone Weil, est source de déracinement. «La culture s’est développée dans un milieu très restreint, séparé du monde, dans une atmosphère confinée. Elle est orientée vers la technique et influencée par elle. Elle est fragmentée par la spécialisation.» (5) La culture sert en fait à procurer un prestige d’ordre social. Un système qui pense que seuls sont intelligents ceux qui exercent un travail intellectuel, est un «système profondément malade». Le déracinement est une grave maladie morale qui débouche sur l’irresponsabilité et l’idolâtrie. Pour elle, ce sont les sources du totalitarisme et du nazisme allemand. Simone Weil encourage à retenir les leçons de l’histoire. Dans L’Enracinement, elle développe une déclaration, non pas des droits mais des devoirs de l’homme envers l’homme.


Refaire une âme à la France


Pour la reconstruction de la cité, Simone Weil, en référence à Platon, appelle le soleil du Bien. Une nouvelle civilisation, plus humaine, respectant véritablement l’être humain ne peut naître que s’il existe une ferme volonté collective de faire le Bien. Cette vie morale est indissociable de la liberté. «Au-dessus des institutions destinées à protéger le droit, les personnes, les libertés démocratiques, il faut en inventer d’autres destinées à discerner et à abolir tout ce qui, dans la vie contemporaine, écrase les âmes sous l’injustice, le mensonge et la laideur.» (6)
La pensée de cette philosophe «à contre-courant» de son époque, n’est-elle pas au cœur de l’actualité aujourd’hui ? (7)

 
Louisette Badie


(1) Attente de Dieu, Édition Livre de vie, p.43
(2) J.M Perrin et G. Thibon, Simone Weil telle que nous l’avons connue, La Colombe, 1952 ; citation tirée des Œuvres de Simone Weil, Éditions quarto Gallimard p.1259
(3) Simone Weil, Bulletin de la NRF, juin 1949 ; in les Œuvres de Simone Weil, Éditions quarto Gallimard p.1264
(4) L’Enracinement in les Œuvres de Simone Weil, Édition quarto Gallimard p. 1052
(5) Op. cité p. 1053
(6) La personne et le sacré, Écrits de Londres, p.44 in les Œuvres de Simone Weil, Éditions quarto Gallimard p.347
(7) La Connaissance surnaturelle, Éditions Gallimard, collection «Espoir», 1950, p. 328
Photo fournie par Sylvie Weil, nièce de Simone Weil


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